Travail non-libre : de l’engagement à l’esclavagisme

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Travail non-libre : de l’engagement à l’esclavagisme

C’est au 17e siècle que “l’engagement” s’instaure en Amérique, une décennie après la fondation de Jamestown en Virginie, première colonie durablement installée par l’Empire Anglais sur la côte est de l’Amérique du Nord. Alors qu’ils exploitent de plus en plus de terres, les colons de la Virginia Company of London font face à une pénurie de main-d’œuvre. Cultiver les plantations s’avère complexe et coûteux ; il faut alors trouver une façon de réduire les charges.

Les prémices de l’engagisme

Ainsi se développe l’idée d’introniser le système connu sous le nom d’engagement (indenture en anglais), consistant à imposer un statut de servitude par le biais d’un contrat d’une durée de 3 à 7 ans en échange de logement ou bien encore de terres. A l’époque, le Vieux Continent, déchiré par la Guerre de 30 ans (1618-1648), plonge dans une récession sans précédent, privant de nombreux ouvriers de leur emploi.

L’espoir de trouver du travail dans le “Nouveau Monde” pousse un grand nombre d’entre eux à signer des contrats d’engagement leur permettant ainsi de voyager outre-Atlantique et d’être logés, nourris et blanchis “gratuitement” par leur maître. Au commencement de la colonisation anglaise, les Amérindiens, que l’on prive de leurs terres, ainsi que les Africains, déportés vers Amériques, sont eux aussi forcés de signer ces contrats. Cependant, au fil du temps, ces derniers sont réduits en esclavage tandis qu’une interdiction d’engager des autochtones s’établit.

 

Une aubaine pour les maîtres, un cauchemar pour les engagés

Ce système d’asservissement profite considérablement aux compagnies coloniales, qui accumulent pouvoir et richesse tout en exploitant des travailleurs.

Soumis à la brutalité et aux invectives de leurs maîtres, les engagés vivent dans des conditions insupportables et sont traités tels des êtres dénués d’humanité, contraints de travailler dans les plantations 6 jours par semaine, de l’aube au crépuscule, le plus souvent tout au long de l’année. Le taux de mortalité des engagés est très élevé : près de 60% décèdent avant d’atteindre la fin de leur contrat.

En 1676, un événement majeur va tout changer : La révolte de Nathaniel Bacon. Colons virginiens, engagés ainsi qu’esclaves noirs, s’allient pour se rebeller contre le gouvernement de Virginie. Suite à cette insurrection, l’engagement bascule brusquement vers un système esclavagiste, afin de limiter le risque d’une nouvelle alliance des classes laborieuses.

 

Un esclavagisme qui s’enracine et se répand

Au 17e siècle, la société coloniale n’est pas encore séparée par une “ligne de couleur” rigide ; Noirs et Blancs peuvent travailler, et même se rebeller, ensemble.

A la Nouvelle-Amsterdam (la future New York), les esclaves appartenant à la Compagnie Néerlandaise des Indes Occidentales sont régis par une politique plutôt libérale. Libres de leurs déplacements, ils peuvent vendre leurs produits et louer leurs services pendant leurs congés, tout en conservant une partie de leurs revenus. Beaucoup sont affranchis, à tel point que lors de la conquête Anglaise en 1664, 1 Noir sur 5 est libre.

Tandis que le prix des esclaves africains se stabilise, de moins en moins d’engagés débarquent sur les côtes nord-américaines. Il est donc plus rentable pour la plupart des colonies d’acheter des esclaves. De plus, les Africains sont vus comme plus résistants et aptes à travailler sous la chaleur. Les colons aiment également l’idée d’une main d’œuvre servile qui parle très peu la langue qui lui permettrait de négocier sa liberté, même si de fait, les esclaves peuvent ainsi fomenter des révoltes.

Pour gérer cet afflux massif d’esclaves africains, au 18e siècle toutes les colonies adoptent des lois régissant l’esclavage. Ces lois définissent le statut de l’esclave, les droits et obligations des maîtres, les châtiments que l’on peut faire subir aux esclaves fugitifs et enfin les conditions de leur éventuelle émancipation. Ces lois interdisent, entre autres choses, l’utilisation excessive de la violence par les maîtres, mais en réalité, les propriétaires d’esclaves sont rarement punis pour leurs méfaits. Ces lois ont surtout pour but de définir juridiquement l’esclavage. Il est d’abord défini comme “à vie”, puis se transmet par la mère (tout enfant né de mère esclave est par définition un esclave), et devient clairement racial. Tous les noirs et métisses, ainsi que les amérindiens dans certaines colonies, sont présumés esclaves jusqu’à preuve du contraire. Les Noirs libres, eux, voient leur vie également régulée par ces lois.

 

Focus - Anthony Johnson : d’esclave à maître

En 1621, Anthony Johnson arrive en tant qu’esclave à Jamestown, en Virginie. Il se fait alors appeler Antonio et travaille dans une plantation de tabac. Après une quinzaine d’années, il obtient sa liberté, anglicise son nom, se marie et fera baptiser ses 4 enfants.

En 1651, soit 30 ans après son arrivée, Anthony Johnson possède terres et esclaves. La famille Johnson est probablement la première famille de Noirs libres de Virginie, et les archives montrent qu’Anthony était un homme respecté par la communauté.

 

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ENGLISH VERSION

Forced labor : from indentured servitude to slavery

It was in the 17th century that the labor system known as "indenture" was established in America, a decade after the founding of Jamestown in Virginia, the first permanent colony established by the English Empire on the east coast of North America.

As they farmed more and more land, the settlers of the Virginia Company of London faced a labor shortage. Cultivating the plantations was proving complex and costly, so they had to find a way to reduce their expenses.

 

The beginnings of the indenture system

This led to the idea of introducing a system known as "indenture," whereby the status of "indentured servant" was imposed by means of a contract lasting 3 to 7 years in exchange for housing or land.

At the time, the Old Continent, torn apart by the 30 Years’ War (1618- 1648), was plunging into an unprecedented recession, putting many laborers out of work.

The hope of finding work in the "New World" led many of them to sign contracts of indenture, allowing them to travel across the Atlantic and to be housed and fed by their masters. At the beginning of the English colonization of North America, the indigenous people, who were deprived of their land, and the Africans, who were deported to the Americas, were also forced to sign such contracts. However, the latter were rapidly reduced to slavery, while a ban on hiring indigenous was established.

 

An advantage for masters, a nightmare for servants

This labor system (indentured servitude) greatly benefited colonial companies, which accumulated power and wealth while exploiting poor laborers.

Subjected to the brutality and will of their masters, indentured laborers lived in unbearable conditions and were treated as inhuman beings, forced to work on the plantations 6 days a week, from dawn to dusk, usually throughout the year. The mortality rate among indentured servants was very high : almost 60% of them died before the end of their contract.

In 1676, a major event changed everything : Nathaniel Bacon’s revolt. Virginian colonists, indentured servants and Black slaves joined forces to rebel against Virginia’s government. Following this insurrection, the indenture system abruptly switched to a slave system, in order to limit the risk of an alliance of all classes of laborers.

 

A shift in favor of the slave system

In the 17th century, the colonial society was not yet separated by a rigid ’color line’ : Black and White people could work and even rebel together.

In New Amsterdam (the future New York), the slaves belonging to the Dutch West India Company benefited from a relative freedom of movement and the system was not as brutal as it would become later. Slaves were allowed to sell their products and hire out their services during their holidays, while retaining part of their income. Many of them were freed by their masters, so much so that by the time of the English conquest of New Amsterdam in 1664, 1 in 5 Black people was free.

As the price of African slaves stabilized, fewer and fewer indentured servants landed on North American shores. It was therefore more profitable for most colonies to buy slaves. What’s more, Africans were seen as tougher and better able to work in the heat. The colonists also liked the idea of a slave workforce that spoke very little of the language that would enable them to negotiate their freedom, even if the slaves were in fact able to foment revolts.

To manage the massive influx of African slaves in the 18th century, all the colonies adopted laws regulating slavery. These laws defined the status of slaves, the rights and obligations of masters, the punishments that could be meted out to runaway slaves and the conditions for their potential emancipation. Among other things, these laws prohibited the excessive use of violence by masters, but in reality, slave owners were rarely punished for their misdeeds. The main purpose of these laws was to legally define slavery. It was first defined as "for life," then transmitted through the mother (any child born of a slave mother was by definition a slave), and became clearly racial. All Black and mixed-race people, as well as indigenous people in certain colonies, were presumed to be slaves until proven otherwise. The lives of free Black men and women were also regulated by these laws.

 

Focus : Anthony Johnson, the slave who became a master

In 1621, Anthony Johnson arrived as a slave in Jamestown, Virginia. He called himself Antonio and worked on a tobacco plantation. After some fifteen years, he obtained his freedom, anglicized his name, married and had his 4 children baptized.

By 1651, 30 years after his arrival, Anthony Johnson owned land and slaves. The Johnson family was probably the first free Black family in Virginia, and records show that Anthony was a respected man in the community.

 

Ecrit par / Written by PILIMINDY-KOUEDY Lylio and HAIGAZIAN Alexia

 

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BIBLIOGRAPHIE / BIBLIOGRAPHY

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